Religions entre universalité et pluralisme, résumés des interventions

Religions entre  universalité et pluralisme.

(Colloque organisé par le CEDIFR, le 27 et 28 février 2014)

 Résumés des interventions

 

Introduction philosophique du sujet :

Antoine FLEYFEL : « Le pluralisme religieux entre relativité et authenticité »

Cette approche s’ancre dans la pensée de John Hick (1922-2012), considéré comme l’un des plus grands philosophes de la religion au XXe siècle. Celui-là défend la théorie du pluralisme religieux qui s’oppose aux théologies classiques des trois monothéistes, inclusives ou exclusives. Même si sa réflexion touche à la théologie, elle reste philosophique et s’inspire de la pensée d’Emmanuel Kant qui lui permet d’élaborer sa compréhension du pluralisme religieux. Hick considère effectivement que la réalité ne peut être connue que selon la manière dont on la perçoit. Ainsi, Dieu ne peut être connu que comme un Dieu phénoménal, mais jamais en tant qu’un Dieu nouménal. De plus, cette connaissance est toujours conditionnée par le contexte historique et culturel, ce qui la relativise, sans pour autant la rendre moins authentique.

Ces réflexions philosophiques permettent d’inscrire les religions, notamment les trois monothéismes, sur la voie de l’universalité, une voie qui n’est accessible qu’à partir du particulier, relatif et historiquement et culturellement situé.

Judaïsme (présidente de la séance : Roula TALHOUK)

Tidola ABDO: “Le judaïsme biblique entre la notion de peuple élu et sa mission universelle »

A l’élection d’Israël dans le judaïsme biblique, se rattache l’alliance. Une alliance qui, étant universelle avec la création et l’humanité toute entière par Noé, va vers le particulier avec Abraham, Moïse, le peuple d’Israël et David, etc. Elle s’ouvre aux nations notamment avec les prophètes.

Comment le peuple élu se comprend-il comme peuple choisi, donc mis à part pour une consécration particulière,  avec une mission universelle d’être “lumière des nations” (Is 49,6)?

Qu’est ce qui a permis à Israël, malgré les vicissitudes de l’histoire, de ne pas s’enfermer sur lui-même ? Quelles sont les éléments de l’alliance qui ont été, à la fois, les marques de sa particularité mais également de son universalité ?

Nous suivrons la trame de l’alliance singulière d’Israël, telle qu’il la conçoit lui-même, en montrant comment elle se fait universelle à travers la Torah, le Shabbat et Jérusalem : pôles continuellement ouverts à l’accueil de l’Autre et des autres, particulièrement de l’étranger qui rappellera toujours à Israël sa situation initiale d’étranger sur cette terre (Deutéronome 10, 19).

Israël vit, en tant que peuple élu, son rapport à l’universel. Il se charge de pratiquer la Loi pour être fidèle à sa vocation envers lui-même et envers les autres. Et ce, jusqu’à l’éternité où son salut se complète par le salut des nations qui reconnaissent l’unicité de Dieu.

Toutefois, il semble qu’il existe une ambigüité et une tension chez Israël, entre la conscience de sa particularité[1] et l’intérêt porté à ses coreligionnaires d’une part; et d’autre part, la découverte de son universalité et l’intérêt de Dieu envers les nations et l’humanité entière.

Au terme, il y aura une autre alliance particulière et universelle que les prophètes ont proclamée et qu’un Tout-Autre a scellée. Elle est encore pour Israël un mystère.

Issa DIAB : «  Les enjeux du pluralisme religieux dans le judaïsme contemporain »

Universalisme et particularisme dans le judaïsme contemporain.

Chacune des trois religions monothéistes/abrahamiques prétend être un don de Dieu à l’humanité et une miséricorde divine pour tous les peuples de la terre ; c’est ce qui lui donne son aspect universaliste. Mais, en même temps, chacune d’entre elles a été fondée à une époque de l’histoire bien déterminée, dans un certain endroit géographique, et dans un contexte culturel spécifique. Outre la doctrine, le temps, le lieu, et la culture de chacune de ces religions lui ont donné une identité particulière. Ce « particularisme » entre en conflit, parfois collision, avec les « particularismes » des civilisations où chacune de ces religions tente d’entrer pour épanouir son universalisme.

A notre avis, le Judaïsme constitue un cas particulier parmi les religions monothéistes abrahamiques. Alors que le lecteur de ses textes sacrés fondateurs trouve des éléments universalistes et d’autres particularistes, il touche aussi une lutte forte entre inclusivisme et exclusivisme, universalisme et particularisme. Je tenterai, dans ce papier :

  1. 1.       Identifier, dans le Judaïsme contemporain, les éléments qui donnent à cette religion un aspect universaliste, et ceux qui lui donne un aspect particulariste 
  2. 2.       Mettre en évidence le contraste et la lutte entre ces deux pôles
  3. 3.       Essayer de prouver qu’en fin de compte, le particularisme juif est plus fort que son universalisme et c’est lui qui domine.

Christianisme (présidente de séance : Nour FARRA-HADDAD)

Souraya BECHEALANY : « La diversité chrétienne à Antioche au courant des premiers siècles du christianisme »

La problématique du colloque s’attache à penser les religions à partir de la dialectique de l’universalité/particularité. L’exposé sur l’Église d’Antioche aux premiers siècles de l’ère chrétienne la déclinera en termes d’unité/diversité.

En effet, Antioche n’est pas un lieu révolu de l’histoire dont se réclament, aujourd’hui, anachroniquement cinq patriarcats (l’Église grecque orthodoxe, l’Église melkite catholique, l’Église maronite, l’Église syriaque orthodoxe et l’Église syriaque catholique). Bien au contraire, elle est la pierre d’angle de l’édifice ecclésial des patriarcats qui se réclament de ce lieu, parce qu’Antioche représente une Tradition vivante et une manière d’être Église.

Cette Église, une dans sa sève et ses racines, plurielle dans ses expressions, ses manifestations et ses structures, est toujours partie de la diversité vers l’unité, du particulier à l’universel. Voilà son trait permanent qui la caractérise le mieux et que nous allons revisiterpour mieux saisir l’aujourd’hui de son être ecclésial dans la chair des Églises qui se reconnaissent d’elle ; et pour réfuter, par conséquent, le report de sa diversité originelle aux divisions et schismes survenus, ultérieurement, au cours de l’histoire.

 

Fatiha KAOUÈS: chercheure post-doctorante à l’IDEMEC (Aix-Marseille Université).

« Développement du protestantisme évangélique au Liban, entre prétention universaliste et intégration nationale » 

Contrairement à ce que beaucoup de gens s’imaginent, le protestantisme n’est pas d’apparition récente au Liban. Les premières missions protestantes américaines au Levant remontent en effet au début du XIXe siècle. Les presbytériens américains, emmenés par l’American Board of Commissioners for Foreign Missions (ABCFM), la plus vaste entreprise missionnaire mondiale de cette époque, ont pris pied au Liban en 1819, avant de fonder la première Eglise protestante arabophone à Beyrouth en 1848. Depuis lors, le protestantisme a été reconnu officiellement par l’Empire ottoman, puis intégré au nombre des communautés nationales par l’Etat libanais, à l’instigation du pouvoir mandataire français. Ainsi, les protestants se sont peu à peu intégrés à un paysage religieux local déjà très diversifié. Pourtant, une telle intégration n’est pas sans poser d’âpres questionnements, aujourd’hui encore. Minorité dans la minorité, les protestants mainline sont en effet confrontés au développement de la mouvance évangélique depuis quelques années. Cette famille protestante, organisée en réseau transnational pose la conversion au cœur de son acte de foi, ce qui n’est pas sans faire polémique, dans un pays fondé politiquement sur la base de quotas confessionnels. Instaurant un lien vertical avec Dieu contre toute autorité cléricale, les protestants affirment en outre transcender les appartenances nationales. Mais ils sont contraints de procéder à des accommodements puisque soumis aux contraintes et limites propres au contexte libanais. Fatiha Kaouès, sociologue des religions et actuellement chercheure post-doctorante à l’IDEMEC (Aix-Marseille Université) 

Islam (Président de séance : Thom SICKING)

Constance ARMINJON  : « Etude comparative de la référence aux figures fondatrices de l’islam chez quelques penseurs cléricaux sunnites et chiites contemporains (Rachîd Ridâ et ‘Abd al-Râziq pour les sunnites, Muhammad Bâqir al-Sadr et Muhammad Mahdî  Shams al-Dîn pour les chiites) ».

Lecture de l’histoire et conception de l’autorité

Pour l’ensemble de la Communauté musulmane, le prophète Muhammad représente le modèle de l’autorité parfaite. À la suite des conflits liés à sa succession, le paradigme de l’autorité s’est pourtant dédoublé. Investis du titre de « calife de Dieu » – jusqu’à la fin de l’époque omeyyade – puis de « calife du Prophète » -, les califes avaient pour les sunnites la mission de perpétuer le modèle d’autorité prophétique. Selon les chiites, les Imâms devaient hériter de la totalité des fonctions d’autorité de Muhammad. Cependant, à l’exception du premier d’entre eux, ‘Alî, les Imâms ne purent exercer la fonction de gouvernance. Faute de pouvoir politique, ils se chargèrent de la guidance religieuse de leurs fidèles. Aussi le paradigme de l’autorité fut-il marqué par l’ambivalence. Après l’Occultation du douzième Imâm (en 940), il fut admis par les chiites que celui-ci continuait de guider sa communauté. Pour permettre aux chiites de subsister en tant que communauté religieuse, il fallut cependant chercher à remplir les fonctions d’un pouvoir vacant. Au cours d’un processus multiséculaire, les ulémas assumèrent progressivement l’ensemble des fonctions religieuses des Imâms.

Confrontés à l’émergence des États modernes et – pour les sunnites – à l’abolition de l’institution du califat, les clercs musulmans contemporains ont cherché à redéfinir les principes et les modalités de l’exercice de l’autorité légitime. C’est à l’appui de bilans de l’histoire de l’islam que les uns et les autres ont élaboré leur théologie politique. Or cette histoire commune a fait l’objet de lectures divergentes voire antagonistes, tant dans le sunnisme que dans le chiisme. En vue de restaurer le califat, Rashîd Ridâ (1865-1935) a conçu le calife moderne comme le représentant du prophète Muhammad, dont la principale mission consistait à superviser l’État et à garantir le respect de la loi islamique. À rebours de cette vision, ‘Alî ‘Abd al-Râziq (1888-1966) a considéré le califat comme une institution historique, nullement nécessaire à la perpétuation de l’islam entendu comme religion. Surtout, dans une audacieuse entreprise de déconstruction, il a mis en relief la seule fonction prophétique de Muhammad, afin de saper les bases de toute tentative de restauration d’un modèle étatique religieux. Parmi les clercs chiites, l’ayatollah Khomaynî (1902-1989) a fait valoir la nécessité d’attribuer la plénitude des fonctions du Prophète au juriste religieux qualifié, (wilâyat al-faqîh en arabe, velâyat-e faqîh en persan) pour faire appliquer la loi islamique. Il a ainsi identifié le juriste religieux dirigeant à Muhammad et à l’Imâm ‘Alî. En invoquant une autre lecture de la tradition, le cheikh Shams al-Dîn (1936-2001) a récusé cette identification et a envisagé l’organisation de l’État entre les deux Temps de l’Occultation et de la parousie de l’Imâm occulté.

Cette communication voudrait contribuer à mettre au jour la diversité des historiographies de « la » tradition musulmane, et à souligner le lien entre historiographie et théologie politique. Elle est fondée sur l’étude des traités politiques et d’ouvrages historiographiques des auteurs mentionnés.

Noha MALAEB : « The Druze between maintaining religious secrecy, law and order within their community, and accepting heterogeneity and interaction with other religious groups.»

In the local history of Lebanon, the Druze have always formed a vigorous and flourishing community, and played a dominant part in the affairs of the country. However, in spite of that, and in spite of the fact that the Druze villages have grown and prospered in most periods of their history, their religious education system has not changed since it was inaugurated in the early part of the eleventh century by the great Druze reformer ‘Abdallāh  al-Tanūkhī (d. 885 AH/1480 AD).

Yes, the modernizing influence has, in recent years brought quite a large number of initiated and uninitiated Druze scholars within its sphere. Recent reports from universities in Beirut and throughout the world indicate that there is a great number of Druze students and Druze teachers in those institutions. However, no one would go so far as to describe the existence of an “intellectual movement”, or a “modernist movement” the aim of which would be the systematic study of the Druze culture and belief. In fact the outside world knows very little about this religion.

Several factors are responsible for the lack of systematic reflection upon the Druze intellectual tradition.  The first possible factor requires us to reflect upon the question: does the legitimate practice of “taqiyyah”(dissimulation) as part of their dogma and as an integral part of the “Tawḥīid” way of worship affect their style of intellectual interaction with others?  Does this secret that should not be divulged to others act as a barrier to reaching a thorough and scientific appreciation of the Druze legacy?

The second possible factor is the fact that the Druze community, from the beginning, has emerged as a closed community, in which they have enjoyed relatively unified religious traditions and values, accepted no proselytes, and kept their doctrines secret.  Could this affect the tendency among the Druze community to adapt to modern ways of intellectual-religious interaction?  Could this influence the development of Druze institutions of higher learning, or their desire to play a significant, organized, intellectual role aimed at putting learning, in all categories, at the service of others? 

Table ronde de synthèse, avec l’ensemble des participants, dirigée par Antoine FLEYFEL


[1] Développé particulièrement dans le Pentateuque. Il comporte la pratique religieuse, l’alimentation, l’habillement, les temps de travail et de repos, la vie de famille et le mode de vie en général.

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