« Maqam » el Sultan Yaccoub[1]

Conférence sur        « Maqam » el Sultan Yaccoub

Conférence sur « Maqam » el Sultan Yaccoub

Houda Kassatly

Le village

Le village sunnite de Sultan Yaccoub est situé dans la circonscription (mohafazat) de la Beqaa et le chef lieu (caza) de la Beqaa Ouest sur une haute colline (1350 mètres d’altitude) qui domine plusieurs villages de la région (Hammara[2], Aïta el Fokhar, Ghazzé…). Pour faciliter leur quotidien, de nombreux habitants de la localité ont décidé dans les années 1950 de quitter ces lieux élevés pour s’établir dans une région plus accessible située en contrebas de l’ancien village. Le village originel des hauteurs est désormais nommé Sultan Yaccoub el Fawka (du haut) et la partie basse Sultan Yaccoub el Tahta (Sultan Yaccoub du bas). Le projet de séparer administrativement les lieux est en court, les habitants de Sultan Yaccoub el Tahta (également nommé Lucy) souhaitent en effet avoir une municipalité indépendante.

Le village a connu d’importantes vagues d’émigration. Les aléas de la situation politique et économique au cours de la Première et la Deuxième Guerre mondiale, mais également lors de la guerre civile libanaise, ont en effet poussé ses habitants à partir chercher fortune et vie meilleure dans les pays d’Amérique du Sud principalement au Brésil. Un grand nombre y a trouvé la prospérité comme en témoignent les somptueuses bâtisses que les émigrés ont fait construire dans leur village d’origine ou dans sa partie basse. La construction d’une villa constitue pour l’émigré qui s’est enrichi, la preuve tangible de sa nouvelle condition socio-économique et une revanche sur son ancienne pauvreté. La démesure est d’autant plus criante que ces habitations aux décors surchargés et aux matériaux couteux sont venues remplacer les anciennes maisons en pierres ou en briques de terre crue que construisaient les ancêtres et qui se caractérisent principalement par leur simplicité et l’absence de toute fioriture. Une de ces nouvelles habitations est calquée sur le modèle de la résidence du président des États-Unis et c’est pourquoi elle est nommée la « Maison Blanche ». Ces constructions constituent cependant la preuve de l’a construction de ces habitations constitue cependant la preuve de l’attachement indéfectible des émigrés à leur village d’origine, attachement qui se manifeste également par l’envoi de sommes d’argent conséquentes qui sont investies pour participer à l’essor du village et qui ont permis, entre autres, de financer la route qui  relie l’ancien village à sa partie plus récente. En effet les habitants devaient faire plus de 20 km pour passer d’une partie de la localité à l’autre au lieu des 3 nécessaires depuis le financement de la route actuelle par les émigrés. 

Et c’est sur les hauteurs de la colline du village nommée « Jabal el Sultan », la montagne du Sultan, qu’est situé le « maqam » qui porte le nom de ce personnage historique.

Hagiographie

Comme l’inscription à la porte du sanctuaire l’indique : «Mashhad el Sultan Yaccoub malek el Maghreb » (Mashhad du sulltan Yaccoub roi du Maghreb) remplacée depuis par une autre inscription : « maqam » et « masjed » el sultan Yaccoub el Mansour, ce lieu abriterait la tombe d’un Sultan dénommé Yaccoub. Les recherches entreprises pour identifier le personnage révèlent qu’il ne serait autre que Yaccoub el Mansour (le victorieux) troisième sultan de la dynastie berbéro-musulmane des Almohades (al mouahidoun) laquelle a succédé à la dynastie des Almoravides et a régné au Maghreb de 1147 à 1269 jusqu’à la prise du pouvoir par les Mérinides.

Bref historique de la dynastie des Almohades 

Selon les historiens, Mohammed Ibn Toumert, précurseur du mouvement réformiste Almohade, qui a vu le jour à Tinmel dans le Haut Atlas était un prédicateur éloquent et rigoriste, disciple du théologien Ghazali. Il prêchait la pureté, le rigorisme et l’unicité de Dieu d’où le nom d’unitaires « al mouahidoun », donné à ses partisans.

Il se révolte dès 1121 contre les Almoravides et entame une réforme religieuse radicale dénonçant les abus et censurant les mœurs. Il appelle au retour aux sources d’un islam pur et dur et dénonce les « déviations » de l’islam des cités médiévales lequel a eu raison de l’ascèse saharienne. 

Les Almohades prirent le pouvoir au début du XII siècle. La conquête du Maroc est conclue par la prise de Marrakech en 1147 par Abd el Mou’men disciple d’Ibn Toumert. En moins de 150 ans de règne, ils dominèrent toute l’Afrique du Nord et une grande partie du Sud espagnol. Ils réalisèrent ainsi l’unité d’un immense empire, autour du commandeur des croyants  « amir el mou’minin ».

Yaccoub el Mansour (qui régna de 580 à 595) troisième souverain de la dynastie après son grand-père Abd el Mou’men et son père Youssef, porte l’empire Almohade à son apogée que se soit sur le plan territorial (contrôlant le Sahara, le Maghreb occidental et central et la moitié sud de la péninsule ibérique rattachant l’Andalousie à son empire) ou sur le plan culturel. Il remporte en 1185 une victoire militaire à Alarcos en Espagne écrasant les armées chrétiennes. 

La puissance du Maghreb, ses richesses, la réputation de son armée et de sa flotte lui valurent un très grand prestige. La flotte Almohade devint la première de la méditerranée ce qui incita Saladin à requérir son concours pour arrêter les expéditions chrétiennes sur la route de Syrie.

A l’époque où régnait cette dynastie, l’empire était pacifié et prospère. Les sultans s’entouraient d’une cour où brillaient les plus grands esprits de tout l’occident musulman ; philosophes, poètes, artistes, écrivains (Averroès, Maimonide…). Cette époque marque un âge d’or intellectuel et artistique et l’apogée de l’art et de la culture islamique de Séville, à Tunis. Les arts et la science connurent alors une renaissance et les villes de Fez, Marrakech, Tlemcen et Rabat atteignirent le sommet de leur développement culturel.

À la mort du Sultan Yaccoub el Mansour l’empire se disloque. Les luttes de successions et l’indolence des souverains qui lui succèdent fragilisent ce vaste empire qui s’effondre. En Espagne les victoires chrétiennes se succèdent. En 1212 les chrétiens remportèrent une bataille décisive à Las Navas de Tolosa qui fut une des grandes étapes de la reconquête espagnole et la perte du contrôle des routes sahariennes annonça la fin de la toute-puissance Almohade.

Dés 1269 le Maghreb extrême passe aux mains d’une tribu berbère des hauts plateaux : les Mérinides.

Les réalisations architecturales du Sultan Yaccoub

L’apogée du royaume Almohade correspond donc au règne de son troisième sultan Yaccoub el Mansour. Ce dernier réalisa de nombreux travaux d’agrandissement et d’embellissement des villes et acheva les splendides édifices amorcés par ses prédécesseurs où l’on perçoit la maturité d’un art né des influences maghrébines, africaines et andalouses. Parmi ses réalisations on peut citer la mosquée Koutoubiya à Marrakech[3], la mosquée Giralda à Séville[4], la mosquée Hassan à Rabat[5]. Il réalise aussi les remparts de la citadelle construite par Abd el Mou’men et qui devait devenir la casbah des Oudaîas.[6] Son règne est associé à une période faste, à une économie prospère ; « il incarne la période la plus accomplie et la plus brillante ». (Ferhat)[7]

Le « maqam » du Sultan Yaccoub du village de la Bekka qui porte son nom serait donc celui de ce Sultan puissant et prospère. Laissons de côté sa biographie officielle pour nous pencher sur notre cas particulier qui se trouve sur cette colline de la Bekaa-Ouest du Liban.

Le « maqam »

Le lieu qui abrite la tombe du sultan Yaccoub est creusé dans un grand rocher. Il est composé de deux pièces auxquelles on accède par une porte en fer. La première pièce, la plus vaste, est de forme rectangulaire et elle est couverte d’une voûte en berceau. Un tapis recouvre le sol sur toute sa longueur. Des versets coraniques reproduits sur des supports en bois ou en textile sont accrochés sur les murs en crépi. Deux petites niches carrées se trouvent sur le mur à droite de l’entrée. Une ouverture au bas du mur gauche laisse pénétrer la lumière dans la salle. Une niche de plus grandes dimensions (peut-être un mihrab) est située dans le mur du fond qui sépare cette pièce de celle qui contient le tombeau du saint.

On accède à la deuxième pièce, d’un niveau inférieur, par une porte en bois. De forme circulaire et de plus petites dimensions, elle abrite la tombe du sultan qui se trouve à droite de la porte derrière un double grillage en bois. La tombe est recouverte d’un tissu vert. La sépulture porte la mention du nom de Sultan Yaccoub et la date de sa naissance et de son décès : né en 545 et mort en 595 soit 1150 – 1199[8].

Face à la porte d’entrée, une niche contient un grand coffre en métal. Une inscription en arabe porte la mention : « Ici le coffre des dons ». Une petite fenêtre vitrée permet d’éclairer la pièce qui est taillée dans la pierre. Une ouverture située dans le plafond, ouvre sur un petit réduit d’où l’on peut voir la roche.

Le lieu est contigu à la mosquée du village et à ses dépendances (toilettes et robinets qui permettent aux croyants d’accomplir leurs ablutions rituelles, pièce située au rez-de-chaussée qui sert actuellement de débarras et d’entrepôt à fuel et qui abritait jadis l’unique école du village…)

Un énorme chêne considéré comme sacré et porteur de baraka se trouve près de la grotte. Cet arbre qui, selon les habitants, aurait été planté par le saint a de tout temps, abrité les jeux des enfants du village. Ils avaient l’habitude de se balancer sur une de ses branches à laquelle ils avaient attribué le nom de vaisseau « markab». Une histoire témoigne de son caractère protecteur et sacré : un enfant qui aurait fait une chute du haut de cet arbre s’en était sorti indemne.[9] On raconte aussi que lorsque les sauterelles ont envahi le pays[10] avalant selon les termes des habitants « le vert et le sec »[11] et engloutissant tout sur leur passage, jusqu’au fumier des vaches, elles n’ont pas réussi à attaquer l’arbre. L’arbre serait resté vert bien que les insectes s’y étaient agglutinés en si grand nombre qu’on ne pouvait les compter et que la mort et la désolation avaient envahi toute la région.[12] Ce chêne semble avoir été celui-là même qu’évoque l’historien Naboulsi et qu’il décrit comme un arbre de 30 empans « cheber » et qu’il est attribué au cheikh Yaccoub.

Le cimetière du village se trouve dans le voisinage direct du lieu. Cette proximité s’explique sans doute par la volonté d’être enterré dans l’enceinte du « maqam » et de ses biens-fonds religieux « waqf ». En effet être enterré à proximité d’un site sacré est considéré comme une bénédiction.

On accède au site par plusieurs ruelles et également par un escalier. Le site enserré par les habitations n’était pas visible de loin, mais suite à la destruction récente de quelques maisons anciennes on peut désormais l’apercevoir depuis la route carrossable.

En contrebas du rocher qui abrite la tombe du sultan se trouve une deuxième  tombe. Les témoignages oraux divergent : certains affirment qu’on se trouverait en présence de la sépulture de la femme du Sultan, d’autres conviennent qu’il s’agirait de sa sœur. Tous s’accordent cependant à penser que la personne en question aurait quitté le Maroc pour partir à la recherche du Sultan suite à sa disparition. Elle aurait ainsi suivi ses traces jusqu’à la montagne et y serait restée. Selon une autre version, elle serait morte à Damas alors qu’elle était à sa recherche et on l’aurait ramené au village afin qu’elle soit enterrée près du sanctuaire de son parent.

Construit en pierres, ce mausolée est constitué d’une pièce carrée couverte d’une coupole. Le bâtiment était entièrement peint en blanc. Actuellement les murs sont toujours blancs, mais la coupole est peinte en vert. On y accède en franchissant un seuil composé de trois marches inégales. Le tombeau est placé sur une plateforme et il est éclairé par une fenêtre placée dans le mur latéral gauche.

Sultan Yaccoub ou la naissance d’un village

L’établissement d’un village en ces lieux est postérieur à la consécration de la tombe du sultan comme lieu de visite. C’est autour de ce pôle religieux, que des hommes auraient décidé de s’établir. Et ce sont les visiteurs du lieu qui auraient érigé les premières habitations dans cet endroit jusque-là désert. Selon les habitants c’est en témoignage de respect et de vénération à l’égard du sultan que les premiers arrivants décidèrent de s’établir dans ce lieu difficile d’accès et de fonder ce qui allait devenir le village proprement dit qui prit son nom. Il n’est ni rare, ni anodin qu’un établissement humain naisse auprès et autour d’une tombe ; les nouveaux arrivants trouvant prétextent de la présence de cette dernière pour s’établir dans un lieu dont les éléments naturels (élévation, accès difficile, abord rude, escarpement de la colline, ouverture à tous les vents…) n’avaient jusque-là guère attiré les hommes. En raison de son emplacement, la colline ne semblait donc pas avoir offert, jusqu’à la venue de notre personnage, suffisamment d’atouts et d’avantages pour justifier l’établissement d’un village. La renommée du Sultan Yaccoub qui s’est accru après sa mort, est venue donner au lieu un attrait nouveau et la présence de sa tombe une raison et un prétexte suffisants, pour pallier sa situation naturelle difficile. Un lieu qui abrite la tombe d’un grand ascète est considéré comme un lieu béni, porteur de baraka. La présence de la tombe et du site ont donc permis l’enracinement, au douzième siècle, de familles sur ce territoire, familles qui, comme leurs noms l’indiquent, seraient originaires des villages environnants et pour certaines de Damas.

Le « maqam » de Sultan Yaccoub dans les textes

Les sources écrites concernant le « maqam » du sultan Yaccoub dans la Bekaa sont rares. On retrouve des informations sur le lieu dans le récit d’un historien du 13e siècle[13] Ibn Khalakan qui vient soutenir la thèse selon laquelle le Sultan Yaccoub aurait erré en ermite à travers le monde avant de s’établir dans « bilad el shâm ». Cet historien écrit dans son livre « Wasiyat el ayan et anba’ abna’ el zaman » : « Au mois de shawal en l’an 680, un grand nombre de personnes à Damas m’ont raconté que près du petit bourg de Majdal[14] dans la Bekaa se trouve un village nommé Hammara. À côté de ce village se situe un mashhad reconnu par tous les habitants de la région lesquels n’émettent aucun doute à ce sujet, comme la tombe de l’émir Yaccoub roi du Maghreb. La tombe est distante du village de Majdal de deux lieues du côté de l’est. Et seul Dieu sait. »[15] Avec le bémol affirmant que Dieu seul détient le savoir absolu, l’historien a voulu faire montre d’une certaine prudence compréhensible vu le peu de preuves qu’offre la légende.

Dans son récit concernant son voyage au Liban, Naboulsi (1641-1731) mentionne la visite de la tombe de Yaccoub el Mansouri au cours de son treizième jour de voyage en expliquant qu’elle se trouve sur une haute montagne. L’emplacement de cette visite entre la visite du village de Kamed et Loz et celle du village d’Aita el Foukhar démontre qu’il s’agit sans aucun doute du site que nous évoquons. L’auteur reste cependant silencieux quant à la description des lieux ; il ne mentionne pas la grotte, mais juste la tombe et un très grand chêne. [16]

Beaucoup plus près de nous, Merhej dans son livre « I’raf loubnan » (Connaitre le Liban) publié en 1971/1972 reprend les grandes lignes d’un des récits qui sont transmis oralement : « On raconte que depuis 600 ans, un roi marocain appelé Yaccoub est venu dans cette région et avant de venir au Liban il serait passé par l’Égypte et la Syrie. Qu’il aurait habité dans le village de Aïta el Fakhar qui se trouve en face de la colline où il aurait creusé sa tombe qu’il y aurait travaillé comme gardien de biens et de terres et qu’il aurait recommandé à ceux chez qui il travaillait de l’y enterrer. [17]

Enfin dans l’unique ouvrage consacré au village de Sultan Yaccoub et écrit par Youssef el Jarouch[18] un de ses habitants, de nombreuses pages sont consacrées à la vie de Yaccoub el Mansour, à ses victoires, ses hauts faits d’armes et ses réalisations. L’auteur adopte l’hagiographie officielle du personnage, met en valeur la vie et les grandes œuvres de ce sultan, évoque ses derniers jours et son choix d’ascèse passant sous silence la problématique de sa présence en ce lieu et la question de la véracité de son voyage vers le Machrek. À aucun moment l’auteur ne met en doute la présence avérée du Sultan comme si cela allait de soi et que c’était dans l’ordre des choses qu’un grand sultan choisisse de tout quitter pour finir ses jours comme gardien de champs. Il passe également sous silence les légendes locales qui circulent sur le personnage, le récit des miracles qui lui sont attribués et les éléments du culte qui lui est rendu.

Les récits légendaires : le sultan intercesseur

À la rareté des sources écrites fait néanmoins pendant une riche tradition orale. Cette dernière véhicule un grand nombre de récits qui circulent dans la région au sujet du Sultan Yaccoub. L’histoire commence généralement de la même manière : le sultan Yaccoub el Mansour aurait décidé de quitter le Maghreb considérant qu’il y avait trop d’impiétés dans son sultanat. Il aurait cheminé à travers le monde passant par l’Égypte et la Syrie jusqu’à arriver près de la colline où se trouve actuellement son sanctuaire et y aurait élu domicile. Il se serait alors consacré à la prière et au gardiennage des champs jusqu’au moment de sa mort.

Si la trame générale des récits est la même, les détails divergent. Selon une première version, le Sultan se serait directement installé dans cette colline où se trouve son « maqam », qui fait face aux villages de Hammara et d’Aïta el Fokhar et qui domine leurs terrains agricoles. Il aurait creusé de ses mains un rocher pour y aménager une pièce dans laquelle il aurait vécu. Dans cette pièce il aurait percé une lucarne qui lui permettait d’avoir une ample vue sur les terrains des alentours. En raison de cet emplacement privilégié, les propriétaires des vignobles lui auraient alors confié la tâche de surveiller leurs terres. Il serait donc devenu le gardien de vignes dont il prenait grand soin ne prélevant qu’une grappe par jour pour sa consommation personnelle. Selon une autre version, le sultan, parvenu dans la région, aurait habité chez une veuve du village de Aïta el Fokar et y serait resté jusqu’à sa mort. Se rendant régulièrement sur la colline où se trouve actuellement son sanctuaire il aurait, de son vivant, aménagé une tombe dans le grand rocher qui s’y trouve pour qu’il y soit enterré.

Les différentes versions s’accordent cependant à identifier la grotte de la colline à l’époque inhabitée, mais qui porte aujourd’hui son nom, comme étant le lieu de sépulture du Sultan. Il en aurait lui-même indiqué l’emplacement comme le souligne le récit suivant : à sa mort après l’avoir lavé et apprêté, les habitants du village d’Aïta ont voulu soulever le brancard pour l’emporter et l’enterrer dans le cimetière du village. Mais ils n’y parvenaient pas en raison du poids inhabituel du défunt. Ils se sont alors enquis de ses occupations quotidiennes auprès de la veuve chez qui il travaillait. Cette dernière leur a raconté qu’il s’absentait tous les jours et revenait avec des traces de pierre blanche sur sa longue barbe. Investigations faites, ils ont fini par découvrir la grotte, qu’il avait creusé dans la roche avec une grosse aiguille et dans laquelle il s’était aménagé une tombe. Ils ont alors compris qu’il fallait l’enterrer en ce lieu et à peine avaient-ils pris la direction de la route qui y menait, que le brancard serait parti tout seul (à la vitesse d’un avion) vers le lieu. Selon un autre récit, il serait décédé dans le village de Hammara où les habitants après l’avoir lavé et enveloppé d’un linceul l’auraient porté sur leurs épaules et auraient couvert à pied la distance qui sépare ce village de la colline où ils savaient qu’il avait creusé sa tombe. En dépit de cette distance, appréciable, aucun des porteurs n’aurait été incommodé, car le sultan était léger comme un oiseau. 

Un conte vient, quant à lui, relayer la légende selon laquelle après avoir abandonné le pouvoir et en route vers la Syrie, le sultan aurait habité le Caire où il aurait exercé le métier de boulanger. Sa femme et sa fille, parties à sa recherche, auraient suivi ses traces jusqu’en Égypte où elles auraient vécu dans une chambre jusqu’au jour où la mère ayant envoyé sa fille acheter du pain cette dernière aurait remarqué la troublante ressemblance du boulanger avec son père. De retour chez elle, elle en informe sa mère qui lui demande de convier l’homme à dîner. Ce dernier accepte l’invitation, mais reconnaissant les deux femmes il leur reproche vivement de l’avoir suivi. Quelque temps après, le fils du roi d’Égypte rencontre la fille du Sultan qui était d’une grande beauté et s’en éprend; elle était si belle que quand elle se rendait au marché les gens s’alignaient sur deux rangs pour la voir passer. Il se rend alors chez le boulanger pour lui demander la main de sa fille, lequel refuse. Le roi entre dans une grande colère et lui dit : tu n’es qu’un boulanger et tu refuses de donner ta fille au fils d’un roi ? Tu as uniquement 24 h pour te décider si tu n’acceptes pas je la prendrais de force. Le sultan écrit alors une lettre à son fils lui demandant de venir le plus vite possible avec ses tentes bleues, ses chevaux bigarrés et son armée. Il attache la lettre à la patte d’un pigeon voyageur et le laisse partir vers le Maroc où il remet la lettre à son fils. À sa lecture, ce dernier apprête ses armées et ses destriers et vient la nuit au secours de son père et de sa sœur. Voulant renverser la ville et jeter ses habitants à l’eau son père l’arrête en lui disant : « Il y a dans cette ville des vieillards et des enfants on ne peut faire une chose pareille, contente-toi de reprendre ta sœur et ta mère et de ne plus jamais, au grand jamais, chercher à retrouver mes traces ». Ne pouvant plus rester en Égypte incognito, il se rend plus loin encore et parvient dans le village de Aïta ou il élit domicile chez une veuve et devient gardien de ses vignes.

Dans ce récit on retrouve tous les « ingrédients » des récits merveilleux dont le prince est le héros et qui ont circulé au Maghreb : métier de boulanger occupé par le sultan,  présence de Safya, sa fille, à la beauté exceptionnelle convoitée par un roi (de Tlemcen dans les récits du Maghreb, du Caire dans les récits orientaux), père qui appelle son fils à son secours, fils qui vient délivrer le père…

 Un autre récit qui circule également dans le village rapporte le passage du Sultan par la ville de Damas où il aurait vécu chez un homme qui possédait un verger. Un jour l’homme chez qui il logeait, est invité à mener une prière commune par un groupe de personnes présentes. La nuit, un songe lui révèle que la conduite de la prière revient à son gardien dont l’identité lui est alors dévoilée. Ce dernier s’enfuit dès qu’il se rend compte que son secret est divulgué. Il se rend à Aïta el Fokhar et y devient gardien de terre, vivant chichement, mais sans mendier, ni recevoir d’aumône. À son décès, la personne chez qui il travaillait à Damas, a suivi ses traces jusqu’à la région et lui aurait alors construit son « maqam ». 

Ces récits révèlent son souhait de vivre anonymement. C’est comme si, à chaque fois que l’identité du Sultan est en passe d’être reconnue et la nouvelle de sa présence répandue, il devait s’éloigner davantage, se perdre et s’enfoncer dans des terres retirées et suffisamment lointaines jusqu’à trouver un lieu où son identité serait définitivement tenue secrète et ainsi retrouver la paix et la tranquillité  auxquelles il aspire.  

Ces récits qui ont trait au Sultan de son vivant vont se trouver relayés par d’autres histoires qui le concernent post-mortem. Après sa mort le Sultan serait apparu aux habitants, intervenant dans les histoires locales. Ainsi reconverti, il aurait été en quelque sorte localement façonné, et aurait connu un destin strictement libanais. Prenant parti dans les conflits locaux il aurait pris la défense d’une communauté sur une autre. On raconte que des Druzes voulant attaquer les villageois chrétiens, le Sultan Yaccoub serait sorti de sa grotte aurait ouvert les bras leur intimant l’ordre de reculer et les transformant en statues de pierre. Et c’est seulement après qu’ils l’eurent supplié et promis de revenir sur leurs pas qu’il les aurait libérés. Événement d’autant plus étrange qu’il aurait choisi une communauté chrétienne au détriment d’une communauté musulmane et que ce récit est véhiculé par les habitants sunnites du village. On l’implique dans la vie locale, on en fait un héros, un redresseur de torts. Il aurait ainsi pris fait et cause pour les habitants lors de l’occupation du pays par les Israéliens. On raconte que lorsque ces derniers ont  occupé la région et ont voulu monter avec leurs chars dans le village ils n’y seraient pas parvenus empêchés par le sultan qui le soir même serait apparu  à une vieille dame du village pour lui dire « Je vous ai protégé et j’ai éloigné le mal ». Cet événement fait référence à un événement historique réel à savoir la bataille qui, les 10 et 11 juin 1982, a opposé au cours de l’intervention israélienne du Liban (nommée par les Israéliens Paix en Galilée), une colonne israélienne à l’armée Syrienne au niveau du village de Sultan Yaccoub. Destruction de chars israéliens, décès de soldats et capture d’autres, cette bataille est un échec pour les Israéliens et une source de conflit qui a perduré longtemps après, sur le sort des trois soldats israéliens qui ont alors été portés disparus.

Rituels et actes cultuels 

La disparition du Sultan loin de clore le récit légendaire, le porte plus loin et lui offre une légitimité grâce à l’établissement d’un culte autour de son personnage. Sa tombe et la grotte qui l’héberge sont devenues un important lieu de visite. La fascination pour l’histoire de cet homme qui aurait abandonné en toute conscience le pouvoir, les récits qui témoignent de sa grande probité, ont sans aucun doute contribué à asseoir sa réputation. Dès sa mort, de nombreux pèlerins venus des villages environnants auraient commencé à venir lui rendre hommage. Le caractère sacré du lieu serait également démontré par l’existence de phénomènes physiques extraordinaires : la rosée et les nuages se concentrent au-dessus du « maqam » et pénètrent le lieu par l’ouverture aménagée dans la roche.

La mort du Sultan a donc donné lieu à l’émergence de pratiques cultuelles autour de sa tombe. Ces pratiques sont semblables à celles qui s’exercent autour d’autres lieux de sépulture considérés comme sacrés dans la Bekaa. Lors des visites, les croyants accomplissent donc les rites en usage : ils lisent la liminaire du Coran (Fatiha), récitent le Coran, font des offrandes, allument une lampe à huile, accomplissent des sacrifices votifs, nouent sur le grillage de la tombe des bouts de tissus, rappels de leurs vœux.

Pour donner plus de poids à leurs demandes, les visiteurs se rendaient pieds nus à la tombe. Certains venaient des villages environnants et empruntaient la route abrupte qui menait jusqu’à la colline. Cela pouvait prendre plus de deux à trois heures de route, mais les « vouants » n’avaient cure ni des épines, ni de la fatigue, ni des difficultés pour venir effectuer leurs demandes. Lorsque leur vœu était exaucé, les pèlerins n’hésitaient pas à réitérer cet exploit et refaire la route, toujours pieds nus, jusqu’au sanctuaire pour remercier le sultan.

Certains visiteurs passaient la journée dans le sanctuaire, d’autres y passaient la nuit observant ainsi le rite de l’incubation. Les visites avaient lieu de préférence les jeudis et les vendredis. Une fanfare défilait le jour de la naissance du prophète au son des « snoujs »[19] et des chants religieux. Le culte était à une époque si vivace que les habitants des villages environnants (Ghazzé) y organisaient des séances de « Zikr ».

Le sultan a surtout été imploré pour sa qualité de guérisseur. L’habitude de le visiter pour la guérison des malades et particulièrement des épileptiques et des enfants s’est largement répandue tant chez les habitants du village, que des environs et des villages encore plus lointains. Cette imploration était appuyée par les prières et la lecture du Coran qui devaient permettre de hâter la guérison, mais également par le bain du malade dans une cavité qui se trouve dans la première pièce du sanctuaire.

Une légende qui a élu une figure historique.

Ce lieu, où reposerait dit-on le puissant Sultan, permet d’entrevoir et de retracer le parcours d’une légende et sa genèse dans sa version moyen-orientale. Cette légende aurait donc trait à un sultan qui aurait quitté biens et famille pour s’installer, dépouillé de tout, dans un lieu retiré et isolé, très loin de son pays d’origine. Si l’histoire du berger, du pêcheur… en bref  du pauvre qui devient sultan, prince ou roi est un récit très courant dans les contes, le contraire à savoir l’histoire d’un monarque qui, par choix, décide de tout quitter pour vivre dans le dépouillement est plus rare, mais elle est néanmoins celle des innombrables ascètes. C’est l’histoire de tous ces soufis qui délaissent les biens matériels pour vivre dans l’adoration de Dieu, faisant vœu de pauvreté et se consacrant à la prière.

Pour comprendre les raisons pour lesquelles cette légende s’est précisément attachée à la figure historique du troisième sultan des Almohades, on pourrait trouver un premier élément de réponse dans l’histoire même de ce sultan et dans les réactions qui ont suivi sa mort. Pour cela il faudrait sans aucun doute revenir à ses derniers jours au Maghreb. En effet comme le souligne Halima Ferhat, Yaccoub el Mansour serait devenu une légende dès les premiers jours qui ont suivi son décès. «…la population a refusé de croire à cette disparition et a commencé à inventer des récits »[20], « Dès sa mort, la mémoire et surtout l’imaginaire populaire se sont emparés du personnage pour en faire un héros immortel »[21]. En dépit des dénégations des chroniqueurs, la population a refusé de croire à sa mort : « En dépit de la dénonciation des fuqaha et des chroniqueurs, la vox populi a continué à enrichir la légende dorée du calife »[22]. Il est ainsi devenu le héros de « contes et de récits édifiants »[23] ainsi « Al Mansour aurait renoncé à son pouvoir, serait devenu ermite et serait parvenu à un degré de sainteté qui lui a valu la vénération des foules »[24]. Bien que les chroniqueurs n’aient eu de cesse de s’élever contre cette rumeur, une thèse se serait répandue selon laquelle al Mansour aurait abdiqué et habillé de bure serait parti en Orient où il serait mort selon certains récits à Damas et selon d’autres dans d’autres parties de cette région. Comme la nécropole Almohade de Tinmel a été profanée et détruite par les Mérinides et qu’il n’en resterait aucune trace, la légende aurait en quelque sorte trouvé sa légitimité dans ce fait historique. « Sa mort et le lieu de son enterrement font l’objet des spéculations les plus extravagantes »[25]. Helima Ferhat a tenté de trouver une explication dans l’enterrement peut-être discret du sultan, son retrait du pouvoir ou l’intronisation de son fils.

Hormis la question de la sépulture un autre élément de la biographie de Yaccoub el Mansour vient conforter cette idée d’un sultan abandonnant son royaume pour errer dans le monde. En effet ses biographes s’accordent à penser que ce sultan aurait, à la fin de ses jours, changé de vie et aurait connu une fin tendue vers l’isolement et la piété et qu’ «Il fut assailli, pendant ses derniers jours, par le remords d’avoir ordonné l’exécution de plusieurs de ses proches parents».[26] Cette exécution « est à l’origine d’une grave crise morale et psychologique ».[27] Ce serait la raison principale pour laquelle il se serait retiré à la fin de ses jours de la vie politique pour se consacrer à la prière, « à ses exercices de dévotions et à des œuvres pies : fondation d’un magnifique hôpital et distribution d’aumônes ».[28]

Plus encore la société de l’époque est profondément bouleversée par une nouvelle sensibilité, « des valeurs, largement diffusées par les mystiques, mais aussi par les fuqaha, ont influencé les mentalités. Les victoires militaires et les richesses ne suffisent plus pour impressionner »[29]. « Al Mansour subit une véritable conversion et adopte un genre de vie soufi »[30].

Tout ce qui précède explique pourquoi en dépit de l’invraisemblance des faits, la mémoire orale a retenu la légende de son engagement dans une vie ascétique et de ce choix d’une vie solitaire qui se sont matérialisés par ce voyage en Orient comme elle n’a pas hésité à franchir vaillamment la distance appréciable qu’il y a à imaginer qu’ « Al Mansour Bil allah » selon son titre honorifique, aurait quitté la splendeur de son règne pour aller errer dans le Machrek et pour y devenir un simple gardien de champs. Impliquer

Commandant au Maghreb, ermite et ascète au Liban

Sultan Yaccoub c’est donc deux visages pour un même personnage. Au Maghreb il est connu en tant que grand bâtisseur qui a accompli de grandes œuvres et en tant que conquérant, stratège, et militaire, artisan d’un grand nombre de victoires et qui a régné en accumulant les conquêtes. Alors qu’au Machrek il est connu par ses humbles visiteurs comme un ermite, un serviteur de Dieu décrit dans les différents récits qui circulent, comme le maître de l’intégrité et de la probité.[31]

Probablement rapportée et relayée par des Maghrébins venus au Machrek, cette histoire a connu une vie nouvelle dans les contrées dont nous nous occupons. À partir de cette légende antérieure dans laquelle elles ont puisé les racines de leurs propres récits et sur laquelle elles se sont appuyées, des histoires locales sont apparues venant se greffer à cette première légende faisant naître des récits qui se sont propagés dans les villages environnants au site où le sultan aurait été enterré.  Cette légende sans cesse renouvelée a été probablement relayée par les nombreux mystiques maghrébins qui se seraient réfugiés en Orient venant nourrir à partir du XII siècle ce que Halima Ferhat nomme le rêve oriental chez les princes comme chez les soufis. Cette histoire née donc en Afrique du Nord aurait donc trouvé un écho chez les Orientaux qui ont à leur tour étoffé la légende. C’est bien pourquoi on retrouve dans les récits locaux les mêmes protagonistes à savoir bien évidemment le sultan, mais également sa femme, sa fille, son fils.

Maghrébins dans « bilad el cham »

De ce qui précède, on peut donc conclure à la vitalité de la légende locale qui continue de nos jours à se transmettre de génération en génération et qui plus encore s’amplifie et se fertilise à la lumière de faits contemporains. Si le processus n’a rien d’exceptionnel, une interrogation fondamentale demeure : celle de savoir comment la légende serait parvenue du lointain Maghreb au Machrek. Les récits d’historiens et de voyageurs arabes, contemporains de cette dynastie, nous permettent d’envisager une nouvelle hypothèse. Surtout à travers les récits de deux d’entre eux Ibn Jubayr et Ibn Batuta.

Grâce au premier, Ibn Jubayr né à Valence en 1145 alors que l’Andalousie était sous domination Almohade et employé comme secrétaire du gouvernement Almohade de Grenade, nous apprenons qu’un grand nombre de Maghrébins habitaient à cette époque la Syrie et la Palestine. Ibn Jubayr affirme que bienveillance et solidarité se manifestaient envers les étrangers et à leur égard en particulier. De nombreuses fondations pieuses y étaient d’ailleurs tenues par des Maghrébins ; elles offraient une aide précieuse à toute personne venue du Maghreb : « L’amîn actuel est un survivant des Almoravides Massûfi et l’un de leurs notables ; il a pour nom Abû ar-Rabî’Sulay-mân ben Ibrâhîm ben Malik. Il occupe un haut rang auprès du sultan et de ses notabilités ; il perçoit un traitement mensuel de cinq dinars sans compter les avantages qu’il tire de la colline. Il s’emploie par tous les moyens charitables à donner asile aux Maghrébins étrangers qui se trouvent isolés ; il intervient pour leur procurer divers moyens d’existence : charge d’imam dans une mosquée, logement dans une madrasa où ils seront entretenus, libre disposition d’une cellule de mosquée de Damas où ils auront de quoi subsister, participation à la récitation du septième du Coran, garde d’un mausolée béni où ils habiteront et seront entretenus sur les fondations pieuses et autre moyen de subsistance de ce même genre béni qu’il serait trop long de détailler. Ainsi, tout étranger dans le besoin, s’il se conduit bien, est protégé, préservé et n’a pas à craindre de perdre sa dignité. On accorde aussi aux autres étrangers qui ne sont pas comme eux et qui exercent un service ou un métier de bons moyens de subsistance : ils sont gardiens d’un jardin, inspecteurs du service d’un bain, gardiens des vêtements des clients, intendants d’un moulin, surveillants qui emmènent et ramènent les jeunes garçons à l’école –et tout autre moyen de gagner sa vie. On ne se fie pour exercer ces charges qu’aux étrangers maghrébins, car leur réputation de probité est grande dans cette ville et ils sont renommés pour cela ; et dire que les habitants de Damas n’ont aucune confiance dans leurs concitoyens »[32]. Il évoque la bonté et les œuvres pies de Nur ad-dîn le prédécesseur de Saladin qui menait une vie ascétique et qui avait « alloué aux étrangers maghrébins qui étaient attachés à la zâwiya malékite de la grande mosquée bénie de nombreuses fondations pieuses : deux moulins, sept vergers, une terre de culture, un bain et deux boutiques dans le marché des droguistes. »[33] « Nûr ad-dîn -Dieu ait son âme !- montrait beaucoup de sollicitude pour les Maghrébins -que Dieu lui soit redevable du bien qu’il a fait ! Il a aménagé pour les lecteurs du Livre de Dieu, puissant et majestueux, des demeures constituées en fondations pieuses dans lesquelles ils logent.

Les avantages dont bénéficient les étrangers de Damas sont trop nombreux pour être recensés, surtout ceux dont jouissent les étrangers qui connaissaient le Coran par cœur et ceux qui se consacrent à l’étude. En effet les étrangers occupent dans cette ville une place singulière. Tous ces pays orientaux ont la même attitude à leur égard : néanmoins à Damas l’attention est plus grande et la générosité plus ample. Celui qui, originaire du Maghreb, recherche la réussite matérielle et morale et n’a qu’à émigrer vers ce pays et à s’expatrier pour se consacrer à l’étude. Il trouvera là maintes occasions favorables et en premier lieu il sera débarrassé du souci de gagner sa vie, ce qui est l’aide la plus grande et la plus importante. S’il est assuré de cela, il trouvera le moyen de se livrer à la recherche, car celui qui faillira n’aura plus d’excuse à moins qu’il ne soit paresseux et remette au lendemain. Nos propos ne s’adressent pas à ce dernier, mais à tous ceux qui sont doués de noblesse d’âme et que la préoccupation de gagner leur vie empêche dans leur pays de se livrer à l’étude. L’Orient leur est une porte ouverte ». [34]

De ce qui précède, il ressort que les étrangers et particulièrement les Maghrébins étaient fort bien acceptés dans la région, qu’ils y étaient nombreux et que les fondations pieuses leur offraient aide et soutien. Ils occupaient des charges en rapport avec les lieux de visitations et trouvaient dans la région une vie décente. «Tout étranger que Dieu a voué à se consacrer à une vie solitaire dans ces régions peut, s’il le veut, se fixer dans un village. Il y mènera alors une vie agréable, l’esprit tranquille ; il recevra du pain des villageois, sera imam ou maître d’école ou ce qu’il voudra. Et quand il sera lassé de séjourner dans ce village, il se rendra dans un autre, ou montera dans le Mont-Liban ou dans celui d’al-Jûdî où il trouvera des émules qui se consacrent au culte de Dieu, puissant et majestueux. Il restera en leur compagnie le temps qu’il voudra et repartira là ou bon lui semble ! Les chrétiens voisins du mont Liban, curieusement, lorsqu’ils voient un musulman se livrer au culte de Dieu dans ces lieux, lui apportent de la nourriture et le traitent bien : « Ce sont là des gens qui se consacrent à la dévotion de Dieu, puissant et majestueux, on doit donc partager notre nourriture avec eux ! » Ce mont est un des plus fertiles au monde : il produit toutes sortes de fruits, est arrosé par des eaux courantes et jouit d’une ombre épaisse. Il est rare qu’il n’y ait là cénobites ou ascètes.»[35]

Le récit du deuxième historien du douzième siècle qui n’est autre que le célèbre Ibn Batuta ne fait que conforter ces informations. Lui aussi évoque la présence d’un grand nombre de Maghrébins et la bonne relation qui les lie aux Damascènes. « Les habitants de Damas construisirent des mosquées, à l’envie, ainsi que des zawiyas, des madrasas et des mausolées. Ils ont bonne opinion des Maghrébins et leur confient leurs biens, leurs femmes et leurs enfants. Quiconque se retire au service de Dieu, dans quelque coin de la ville, perçoit un moyen de subsistance : fonction d’imam, dans une mosquée, de lecteur dans une madrasa, garde d’une mosquée où on lui apporte sa nourriture, lecture du Coran ou service d’un mausolée béni. Si c’est un soufi attaché à un couvent, on le nourrit et l’habille. À Damas, l’étranger se trouve à l’aise : on lui épargne, en effet, de faire bon marché de sa dignité et font vite de jeter le discrédit sur son honneur. Les artisans et les serviteurs ont d’autres responsabilités : garde d’un jardin, intendance d’un moulin, charge d’enfants qu’on accompagne à l’école et ramène chez eux. Celui qui désire s’instruire, ou s’adonner à la dévotion, trouve l’encouragement nécessaire. »[36], « A Damas, il y avait un homme de mérite, secrétaire d’al-Malik an-Nâsir, ‘Imâd ad-dîn al-Qaysarânî, qui avait pour habitude de rechercher tout Maghrébin arrivé à Damas pour lui offrir l’hospitalité et le traiter avec égards. S’il savait, que ce Maghrébin était un homme pieux et vertueux, il l’invitait à rester en sa compagnie. C’était le cas de bon nombre d’entre eux. Il en était de même pour le secrétaire vertueux ‘Alâ’ ad-dîn ben Ghânim et beaucoup d’autres.»[37]

Mais plus encore que la présence à Damas et dans la région d’un grand nombre d’entre eux, Ibn Batuta prête l’oreille –au grand dam de sa commentatrice – à un récit qui n’est pas pour nous laisser indifférents. Il évoque l’existence d’une fable qui par beaucoup de points se rapproche de la nôtre. Il s’agit encore une fois d’un sultan qui renonce à son empire pour se consacrer au culte de Dieu et qui finit gardien de champ. Qui plus est ce sultan ne serait autre qu’un autre sultan Almohade, (en fait Abou Yaccoub Youssef. (1163-1184) père de Yaccoub el Mansour le sujet de cet article) qui de surcroît, se serait également installé dans la Bekaa (même si dans une autre partie de la plaine)[38] : « À partir de Beyrouth, nous visitâmes la tombe d’Abû Ya’qûb Yûsuf qui, dit-on, était un roi du Maghreb. La tombe est située dans un lieu dit Karak Nüh dans la Biqâ’ al-‘Azîz. Près de cette tombe est érigée une zâwiya où sont nourris les voyageurs. On dit que le sultan Saladin fit des legs pieux en faveur de cette zâwiya. D’autres prétendent qu’il s’agit du sultan Nûr ad-dîn, homme pieux qui, dit-on, tressait des nattes et se nourrissait du produit de leur vente. [39]

Cette ressemblance troublante dans les faits nous confirme la ténacité d’une légende qui offre peu de vraisemblance, mais qui semble avoir joui d’une certaine crédibilité auprès des habitants de la région pour s’être répétée au moins à deux reprises. Les récits de ces historiens confirment donc qu’il n’était ni rare ni étrange de voir un Maghrébin s’installer dans la région, occuper des fonctions de jardinier dans une zawiya et de surcroît choisir le Liban et ses collines comme terre d’élection. De là, il n’y a qu’un pas à franchir pour penser que l’un d’entre eux se serait installé au Liban et que les autochtones auraient imaginé qu’il était en personne le grand sultan Almohade.

Louis Pouzet dans un article paru dans le Bulletin d’études orientales analyse la présence maghrébine en Syrie entre le septième et le treizième siècle. Il évoque la place particulière qu’occupe la ville de Damas dans l’émigration maghrébine. Bien que l’influence maghrébine ait été plus importante au Caire, à Alexandrie ou dans le Saïd Egyptien, Damas était néanmoins un important centre religieux de l’islam qui prenait valeur de retour aux sources pour les Maghrébins. Les Maghrébins qui s’y sont rendus ont occupé diverses activités religieuses et culturelles et se sont fait connaitre dans l’étude et l’enseignement des lectures coraniques, des hadiths, dans l’enseignement de la médecine et de la pharmacopée, dans la mystique… Si certains étaient de passage, d’autres s’installaient durablement dans la région. 

Si actuellement cette présence maghrébine est moins perceptible, les familles originaires du Maghreb s’étant fondues dans la mosaïque locale, supplantées par d’autres vagues d’immigrations qui suscitent davantage d’interrogations, il n’en demeure pas moins vrai que la présence de la tombe du Sultan révèle l’importance et les liens étroits entre ces deux rives de la méditerranée.  

Encore aujourd’hui le mot maghrébin est utilisé par les habitants de la région et de la Bekaa pour désigner ceux qui occupaient jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle la fonction de guérisseurs traditionnels. Ils allaient de village en village à dos d’ânes et de mulets munis d’herbes en tous genres, d’onguents, de drogues et de manuscrits anciens, proposer leur savoir aux habitants de la région. Ils alliaient plusieurs fonctions : médicinales (guérissant toutes sortes de maux : brûlures, maux de tête, d’estomac…, pratiquant des saignées…) mais aussi magiques et divinatoires. En effet ils affirmaient pouvoir faire apparaître les trésors cachés, donner des nouvelles des absents, faire revenir les absents. Ils usaient de talismans et de pratiques divinatoires pour unir ou séparer les gens, guérir la folie… Ils étaient également considérés comme des diseurs de bonne aventure et des personnages dangereux sans doute en raison des pouvoirs qu’on leur attribuait et c’est sans doute pour cette raison que pour calmer les enfants turbulents les habitants des villages les en menaçaient. Entre charlatanisme et pharmacopée traditionnelle basée sur le savoir et l’expérience et donc efficace, les Maghrébins occupent jusqu’à aujourd’hui -du moins dans la mémoire des habitants- un statut à part. Plus tard ces Maghrébins d’origine ont été remplacés par des gens du pays qui exerçaient ce même métier et à qui on a continué à donner ce même nom de Maghrébin. Il faudrait pousser davantage cette recherche afin de voir si dans ce pouvoir dont on les a investis et qu’on leur a attribué, il n’y aurait pas un lien quelconque avec cette période où, présents en grand nombre, ils occupaient des fonctions religieuses dans les différentes zawiyas de la région.

Au terme de ce travail, une question reste en suspens celle de l’identité de la personne qui est enterrée dans le « maqam » du Sultan Yaccoub.  Mais dans le fond peu importe. Les véritables questions que pose l’existence de ce site dans un village de la Bekaa se situent sur un autre plan. Le côté légendaire de ce site ne réduit pas, bien au contraire, son importance. Ce lieu se présente en effet comme le révélateur des relations étroites qui s’étaient nouées à une certaine époque entre le Maghreb et le Machrek, il permet de lever le voile sur les liens étroits entre croyants de ces deux régions du monde arabe et révèle la place qu’a occupée l’Orient arabe auprès des Maghrébins et particulièrement chez les hommes en quête de spiritualité. Il ne faut pas oublier que Bilad el Cham constituait une station importante sur la route des pèlerins lorsque Jérusalem était encore la première qibla des musulmans et qu’elle est restée une mosquée sacrée selon les dires du prophète : On ne doit voyager que vers trois mosquées : la Mosquée Sacrée, ma Mosquée que voici, et la Mosquée Al-Aqsâ[40]. Elle est ensuite devenue une station incontournable pour les pèlerins en route vers La Mecque et un lieu privilégié, qui a accueilli au cours de leur vie, un grand nombre de soufis comme Ibn Arabi et qui abrite encore leurs sépultures.

Le « maqam » en devenir

Le « maqam » du Sultan Yaccoub a subi nombre de transformations. Il demeure un lieu facilement accessible et toujours ouvert qui reçoit des visiteurs originaires des villages environnants, des écoliers, mais aussi quelques visiteurs du Maroc. Ces derniers sont distingués entre tous par une légende qui tend à confirmer encore une fois l’identité maghrébine de celui qui est enterré en ce lieu : voulant visiter le « maqam » dont la porte était fermée, cette dernière s’est ouverte pour eux avant même que les habitants n’aient eu le temps d’aller chercher la clé.

Cependant au niveau des rites les pratiques se sont étiolées : peu de visiteurs choisissent de passer la nuit dans le lieu, la fanfare a disparu, la cavité où on baignait les malades jadis a été obstruée.[41] Les autorités religieuses sont à l’origine de l’interdiction de certaines pratiques. Elles estiment que Sultan Yaccoub doit être considéré comme un homme pieux, dont la visite permet de se rapprocher de Dieu et que les visiteurs doivent s’abstenir de suivre des pratiques jugées répréhensibles au regard du texte de la loi.

Malgré tout le Sultan Yaccoub reste un intercesseur incontournable pour les habitants du village et des alentours et en particulier pour les émigrés qui ne vivent pas les mutations au quotidien et dont la mémoire s’est arrêtée à un moment qui reste parfois inchangé. Ces « proches » du sultan considèrent tout bien qui leur arrive comme une bénédiction du sultan et acceptent leur sort en disant : « Selon ton désir et ton bon vouloir ô Sultan » (bikhatrak ya sultan). Ils continuent à faire appel à lui en cas de nécessité et chaque fois qu’ils connaissent quelque malheur.[42] Un grand nombre d’entre eux atteste recevoir ses visites en songe portant une djellaba verte et répandant de l’encens, signe de la relation étroite et indéfectible entre ces personnes et celui qui a choisi de finir ses jours parmi eux.

Le voyage en Orient, un parcours initiatique

Ce lieu qui a traversé les âges reste une énigme encore à explorer à travers l’étude du devenir de la légende dans le Maghreb comme dans le Machrek. En se basant sur les différents récits qui rapportent une tradition similaire ou proche et qui circulent dans un vaste espace géographique entre ces deux contrées, on pourrait opérer des recoupements qui peuvent s’avérer indispensables pour retracer l’itinéraire réel ou supposé d’un soufi maghrébin vers les pays de l’Orient arabe, de l’opulence à l’ascétisme, de la richesse au dénuement, la transfiguration d’un maitre du pouvoir souvent sanguinaire[43] en un humble et exemplaire serviteur de Dieu. Un voyage initiatique donc avec ses différentes stations géographiques : Tlemcen, Le Caire, Damas… comme autant de degrés pour atteindre le niveau supérieur du renoncement et du détachement de soi.


[1]C’est par plusieurs noms que sont désignés au Liban et dans la région les sites renfermant les tombes d’hommes ou de femmes proches de Dieu : « maqam », « mazar », « mashhad »… En ce qui concerne notre cas c’est le terme de « maqam » : station, mémorial, qui est le plus souvent privilégié. Le terme de « mashhad » est également en usage, mais il est plus rare.

[2]Ce village porte actuellement le nom de Manara

[3] Cette mosquée considérée comme une des plus belles qui aient été construites depuis l’avènement de l’islam, doit son nom aux koutoubiyyin ou libraires qui au XII et XIII siècles venaient vendre leurs marchandises sur le parvis de la mosquée. Elle a été bâtie vers le milieu du XII siècle par Abd el Mou’men. C’est Yaccoub el Mansour, son petit-fils, qui a achevé sa construction. Nouvelle version de la grande mosquée de Cordoue avec ses 17 nefs perpendiculaires à la qibla et les cinq formes de son transept, son minaret, qui mesure 77 mètres de haut, a servi de modèle à la Giralda de Séville.

[4]Le calife Yacoub Youssouf rendit à Séville le titre de capital d’al Andalous sous le nouveau nom d’Ishbiliya. Il entreprit en 1172 la construction d’une des plus grandes mosquées de son temps. Cette dernière a été complétée de 1184 à 1198 sous le règne de Yaccoub el Mansour par le minaret la tour de Giralda (girouette en espagnol). Elle fut détruite en 1434 à l’exception du minaret qui sert aujourd’hui de clocher à la cathédrale Santa Maria.

[5] Sous son règne Yaccoub el Mansour éleva Rabat (fondée en 1150 par le sultan Abd el Mo’men) au rang de capitale des Almohades et débuta la construction de ce qui était destiné à enrichir la ville du plus grand sanctuaire de l’islam au Maghreb si ce n’est au monde après celle de Samara en Irak. Sa mort en 1199 mit un terme à ce grandiose projet et à ce chantier titanesque qui resta inachevé. Ces ruines s’étendent sur 2,5 hectares, sur une large esplanade ponctuée d’immenses colonnades. Son toit était soutenu par 312 colonnes et 42 piliers supportant 19 nefs. Le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 acheva le travail de détérioration. Son minaret la Tour Hassan qui mesure 44 mm incarne l’un des plus grands projets urbains des Almohades.

[6] Le but est de transformer cette cité en base arrière pour les conquêtes militaires en Andalousie. Les remparts de la casbah faisaient 6 km et étaient accessibles par cinq portes monumentales, dont les portes de Bab el Rouah et Bab Oudaîas.

[7] Halima Ferhat Le Maghreb aux XIIe et XIIIe siècles: les siècles de La Foi. Wallada. 1993. p 91

[8] Il serait mort plus précisément le 22 rabî’ premier 595 soit le 23 janvier 1199.

[9] De même, un enfant qui aurait fait une chute du haut du rocher n’aurait pas eu une seule égratignure.

[10] C’est au cours de la Première Guerre mondiale que les sauterelles ont envahi la région causant une terrible famine.

[11]الاخضر واليابس

[12] C’est ce qui explique que certains habitants lui lancent une supplique et font appel à lui en disant : « O toi sultan Yaccoub qui a protégé ton arbre des sauterelles…»

[13] D’après l’article de l’encyclopédie de l’islam Ibn Khalakan qui fut à plusieurs reprises Kadi el Kudat à Damas « avait par-dessus tout un penchant pour les études historiques, de sorte qu’il se mit à réunir des matériaux sur la vie des personnes qui avaient une certaine renommée ; par la suite, il disposa ses notes dans l’ordre alphabétique des isms, et c’est ainsi que vit le jour son fameux dictionnaire biographique intitulé Wafayât al a’ayan wa-anbâ’ al-zamân qui contient seulement les personnages dont l’auteur avait pu contrôler l’année de la mort. (…) Ce livre dont l’auteur entendait faire un abrégé historique, est une mine de renseignements, particulièrement dans les parties qui concernent ses contemporains, alors que dans les articles relatifs à des hommes des époques précédentes il cite souvent des sources qui sont perdues ou n’ont pas encore été publiées. »J.M. Fück. Encyclopédie de l’islam p 856-857.

[14] Probablement l’actuel village de Majdel Anjar

[15] وفيات الاعيان وانباء ايام الزمان. لابي عباس شمس الدين احمد بن محمد بن ابي بكر بن خلكان. حققه الدكتورا حسان عباس. المجلد السابع. دار الثقافة,بيروت, لبنان. 1971

[16]رحلتان الى لبنان. عبد الغني بن اسماعيل النابلسي. تحقيق صلاح الدين المنجد و اسطفان فيلد.  بيروت 1979 

[17] 1971/1972اعرف لبنان. موسوعة المدن والقرى اللبنانية  ، عفيف بطرس مرهج.p 90

[18]يوسف الجاروش. السلطن يعقوب بطولة… وتراث. . (Ce livre qui ne comprend ni date ni nom de maison d’édition aurait été publié à compte d’auteur).

[19] Instruments de percussion plus grands que des castagnettes et fixés à une cymbale.

[20] Ferhat  p 92

[21] Ibid p 91

[22] Ibid p 91-92

[23] Ibid p 92

[24] Ibid p 92

[25] Ibid p 92

[26] A.Huici. Miranda, Encyclopédie de l’islam  p 170. Ces parents seraient son oncle et un de ses frères qu’il aurait faire mettre à mort sans hésitation en 580.

[27] Ferhat p 94

[28] Selon Halima Ferhat sous son règne « la charité est institutionnalisée : les aumônes ponctuelles ou occasionnelles sont maintenues ou même augmentées »… » Des mesures sont prises pour lutter contre la misère et la maladie : Maristan, où les malades sont non seulement soignés, mais hébergés, nourris et habillés. Aveugles et lépreux sont également pris en charge par le prince ». 95-96 cérémonies de circoncision pour les orphelins… Distribution de pièces d’or aux orphelins…p 96

[29] Ferhat p 93

[30] Ferhat p 97

[31] Plusieurs récits circulent à ce sujet. Il aurait été un gardien de champ exemplaire accomplissant l’exploit de réussir à former la nuit des grillages qui protégeaient les vignes des voleurs. Il permettait aux passants de goûter au raisin, mais les transformait en épines dès que l’un d’entre eux s’avisait d’emporter des grappes avec lui (selon les traditions agricoles locales que le sultan aurait ainsi reprises, tout passant a le droit de prélever des grappes de raisin ou les fruits d’un arbre pour s’en nourrir sur place, mais en emporter avec soi est considéré comme du vol), il gardait les vignes des autres aussi précieusement que s’il s’agissait de son propre bien. Sans prendre en compte tous les récits légendaires qui circulent signalons ces deux récits qui ancrent davantage la réputation du Sultan comme maître de la probité : la veuve chez qui il aurait vécu à Aïta el Foukhar lui ayant permis de consommer quotidiennement une grappe de raison il aurait préféré s’abstenir de le faire enfilant un fil à chacune des grappes. La veuve se rendant compte quelque temps après que ces vignes étaient intactes aurait alors interrogé le sultan sur la cause de son abstention il lui aurait répondu que s’il avait prélevé chaque jour une grappe de sa vigne il l’aurait entièrement dépouillée ce qu’il refusait de faire. Le sultan c’est également un homme pur comme l’atteste cet autre récit selon lequel à une femme qui le servait et qui lui reprochait un jour de ne pas l’avoir assisté alors qu’elle se faisait agresser par un homme, il aurait répondu que cet homme était si impur qu’il refusait de le toucher. 

[32]Voyageurs arabes.  Ibn Fadlân, Ibn Jubayr, Ibn Battûta et un auteur anonyme. Textes traduits, présentés et annotés par Paule Charle-Dominique. NRF Gallimard p 300

[33] Ibid p 307

[34] ibid p 307-308

[35] Ibid p 308-309 

[36] Ibid p 462

[37] Ibid p 463 

[38] Ibn Battuta situe la présence de cette tombe dans un lieu nommé Karak Nuh. Village qui en effet situé dans la Bekaa, mais plus au nord dans le chef lieu de Zahlé. Il existe bien un lieu consacré à Noé dans ce village et qui est visité, mais pas de traces de la tombe évoquée par l’historien.

[39] On raconte qu’Abû Ya’qûb Yûsuf entra à Damas, y tomba gravement malade et resta prostré dans les marchés. Lorsqu’il guérit, il sortit de la ville pour chercher un jardin à garder ; il fut donc employé pour la surveillance d’un jardin appartenant au sultan Nûr ad-dîn et y resta six mois. A la saison des fruits, le sultan se rendit dans son jardin et l’intendant ordonna à Abû Ya’qûb d’apporter des grenades pour les offrir au souverain. L’intendant les trouva acides et lui ordonna d’en apporter d’autres que l’intendant trouva aussi acides. Il lui dit alors : « Tu gardes ce jardin depuis six mois et tu ne sais pas encore distinguer les fruits doux des fruits acides ! –Mais tu m’as engagé pour garder ces fruits et non pour les manger ! » lui répondit-il. L’intendant alla raconter l’histoire au sultan qui envoyer chercher Abû Ya’qûb car il avait rêvé qu’il le rencontrerait et qu’il tirerait profit de cette rencontre. Le sultan reconnaît l’homme de son rêve et lui dit : « Tu es Abû Ya’qûb !- En effet ! » Le sultan se leva pour l’étreindre et le fit asseoir à ses côtés. Puis il l’emmena chez lui et lui offrit une hospitalité dont les frais furent réglés par des gains acquis licitement du travail de ses mains. Abû Ya’qûb resta chez le sultan plusieurs jours. Puis il s’enfuit de Damas, à l’époque des grands froids, et arriva dans un village situé dans la banlieue où se trouvait un pauvre homme qui lui offrit de le loger chez lui. Abû Ya’qûb accepta l’invitation. L’hôte égorgea une poule, prépara un bouillon qu’il servit à Abû Ya’qûb avec du pain d’orge. L’invitémangea enbénissant son hôte. Celui-ci avait des enfants dont une fille en âge d’être mariée. Or, la coutume de ce pays voulait que ce soit son père qui fournit le trousseau de sa fille, trousseau constitué principalement d’ustensiles en cuivre dont on s’enorgueillissait et qu’on acquérait à l’envi. Abû Ya’qûb dit à son hôte : »As-tu quelques ustensiles en cuivre ? –Oui, j’en ai acheté pour constituer le trousseau de ma fille. –Apporte-les-moi. » Ce qu’il fit. « Emprunte à tes voisins autant d’ustensiles que tu pourras. » Il s’exécuta et les lui apporta. Abû Ya’qûb mit ces ustensiles dans des feux qu’il avait allumés, sortit une bourse qu’il avait sur lui et qui contenait un élixir : il le jeta sur les ustensiles en cuivre qui furent mués en ustensiles en or et les déposa dans une pièce verrouillée. Abû Ya’qûb écrivit ensuite à Nûr ad-dîn, sultan de Damas, pour l’informer de ce qu’il venait de faire et l’exhorter à construire un hôpital pour les malades étrangers, à constituer des legs pieux pour l’entretenir et à édifier des zâwiya sur les routes. Il lui demanda également de satisfaire les propriétaires des ustensiles en cuivre et d’allouer au maître de maison une somme suffisante pour son entretien. Pour terminer, il lui disait : De même qu’ibrâhîm ben Adham a renoncé au royaume de Khurâsân, moi j’ai renoncé à celui du Maghreb et au métier de roi. Salut ! Puis il disparut aussitôt. Le maître de maison apporta la lettre au sultan Nûr ad-dîn qui se rendit au village, prit livraison de l’or, satisfit les propriétaires des ustensiles en cuivre et le maître de maison, puis demanda à voir Abû Ya’qûb, mais il avait disparu sans laisser de trace. Le sultan revint à Damas et construisit l’hôpital connu son nom et  qui est sans nul autre pareil au monde. » Voyageurs arabes. p 423 à 425

[40]Transmis par Boukhâri et Mouslim.

[41] Comme il est difficile de lutter contre des pratiques restées longtemps en usage quelques femmes avouent continuer à laver leurs enfants malades, mais dans les toilettes contiguës espérant qu’en raison de la proximité des lieux la baraka du sultan, s’exerce toujours.

[42] Ils sont légions les récits des visiteurs où l’appel à l’intercession du sultan aurait été salvateur comme l’histoire de cette femme qui a fait appel au sultan lorsque le camion de son fils s’est renversé le condamnant à une mort certaine et qui aurait vu son appel exaucé.

[43]Un homme de pouvoir qui a fait subir des persécutions à ses adversaires (dont Ibn Roched) et qui n’hésitait pas à faire assassiner ceux qui s’opposaient à lui.

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