Nelly Amri
Université de la Manouba
Introduction
Bien que l’accès des femmes aux plus hauts degrés de la vie spirituelle soit « une possibilité scripturairement fondée »[1], les sâlihât (saintes) aussi bien au Machreq qu’au Maghreb, n’ont pas bénéficié, loin s’en faut, du même intérêt que les sulahâ’ (les saints hommes) ; aussi, est-ce à une information éparpillée, souvent partielle et d’interprétation délicate que l’on a généralement affaire. Cependant, au plan qualitatif, cette fois, force est de constater qu’elles sont, ici et là, l’objet d’une égale révérence et de la reconnaissance des lettrés et des savants, auteurs de dictionnaires biographiques et d’hagiographies de femmes saintes qui nous sont parvenus, et ce, au-delà des tensions inhérentes à leur statut de femme ou suscitées par des formes parfois déroutantes de sainteté. D’autre part, ces informations, pour parcimonieuses qu’elles soient et bien en deçà de ce que nous souhaiterions, nous « disent », néanmoins, la sainteté féminine, en tout cas assez pour tenter d’en cerner les contours, ainsi que sa place et sa réception dans les sociétés de l’époque ; d’autant plus que certaines informations concernent des niveaux et des lieux « charnière », c’est-à-dire qui comptent dans l’évaluation de cette sainteté. C’est ce que nous tentons de démontrer ici dans cette revisite de la sainteté féminine en islam entre Orient et Occident musulmans[2], à travers l’examen des modèles de sainteté mis en œuvre par l’hagiographie, des formes de l’expérience religieuse de ces femmes en qui on a reconnu des saintes, et enfin des modalités de réception et de présence de ces sâlihât à la vie de leurs communautés ; nous espérons, par cette mise en perspective, pour la première fois, des deux expériences (maghrébine et orientale), avec, certes, une plus grande focalisation sur le Maghreb, contribuer à cette histoire de la sainteté féminine en islam que nous appelions tantôt de nos vœux, une histoire qui mettrait en évidence à la fois les modèles et idéaux partagés de sainteté, et l’empreinte plus spécifique des milieux dans lesquels cette sainteté des femmes a pris corps.